Sciences - Philosophie
Le complotisme, maladie sénile de la politique

Un article de Pierre Khalfa (syndicaliste, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental] paru sur le site "Le FIL", le 5 janvier 2021
Une vidéo, Hold up, tissu d’absurdités paranoïaques, visionnée des millions de fois en quelques jours sur internet, fake news se répandant sur la crise sanitaire, des millions de gens aux États-Unis croyant que le monde est gouverné secrètement par une secte de pédophiles maléfiques… le complotisme semble être partout. Certes, le complotisme n’est pas nouveau et depuis la haute antiquité, les rumeurs, présentées comme des vérités incontestables font florès. Plus près de nous, rappelons-nous le rôle qu’a joué au début du XXe siècle dans le développement de l’antisémitisme un faux rédigé par la police secrète tsariste Le protocole des sages de Sion, et en 1969 « la rumeur d’Orléans », analysée par Edgar Morin, prétendait que des jeunes filles disparaissaient dans des magasins de vêtements tenus par des juifs. Bref, les théories du complot sont de tout temps, mais elles semblent connaitre aujourd’hui une ampleur et un développement inédits.
Le complotiste veut révéler une vérité que les « élites » politiques, médiatiques ou scientifiques cachent, celle d’un pouvoir d’un groupe, ou d’un individu, qui manipule le peuple et le dirige dans l’ombre. Quels que soient les acteurs, le scénario sera toujours le même. Une petite minorité, souvent désignée comme étant d’origine étrangère, se camouflant avec l’aide des « élites »,...
Entretien avec Edgar Morin
«Nous devons vivre avec l'incertitude»

Un entretien avec Edgar Morin, paru dans le Journal du CNRS (6 avril 2020)
Le philosophe Edgar Morin. « Je ne dis pas que j’avais prévu l’épidémie actuelle, mais je dis par exemple depuis plusieurs années qu’avec la dégradation de notre biosphère, nous devons nous préparer à des catastrophes. » ...
La pandémie du coronavirus a remis brutalement la science au centre de la société. Celle-ci va-t-elle en sortir transformée ?
Edgar Morin : Ce qui me frappe, c’est qu’une grande partie du public considérait la science comme le répertoire des vérités absolues, des affirmations irréfutables. Et tout le monde était rassuré de voir que le président s’était entouré d’un conseil scientifique. Mais que s’est-il passé ? Très rapidement, on s’est rendu compte que ces scientifiques défendaient des points de vue très différents parfois contradictoires, que ce soit sur les mesures à prendre, les nouveaux remèdes éventuels pour répondre à l’urgence, la validité de tel ou tel médicament, la durée des essais cliniques à engager… Toutes ces controverses introduisent le doute dans l’esprit des citoyens.
Vous voulez dire que le public risque de perdre confiance en la science ?
E.M. : Non, s’il comprend que les sciences vivent et progressent par la controverse. Les débats autour de la chloroquine, par exemple, ont permis de poser la question de l’alternative entre urgence ou prudence. Le monde scientifique avait déjà connu de fortes controverses au moment de l’apparition du sida, dans les années 1980. Or, ce que nous ont montré les philosophes des sciences, c’est précisément que les controverses font partie inhérente de la recherche. Celle-ci en a même besoin pour progresser.
Malheureusement, très peu de scientifiques ont lu Karl Popper, qui a établi qu’une théorie scientifique n’est telle que si elle est réfutable, Gaston Bachelard, qui a posé le problème de la complexité de la connaissance, ou encore Thomas Kuhn, qui a bien montré comment l’histoire des sciences est un processus discontinu. Trop de scientifiques ignorent l’apport de ces grands épistémologues et travaillent encore dans une optique dogmatique.
La crise actuelle sera-t-elle de nature à modifier cette vision de la science ?
E.M. : Je ne peux pas le prédire, mais j’espère qu’elle va servir à révéler combien la science est une chose plus complexe qu’on veut bien le croire – qu’on se place d’ailleurs du côté de ceux qui l’envisagent comme un catalogue de dogmes, ou de ceux qui ne voient les scientifiques que comme autant de Diafoirus (charlatan dans la pièce Le Malade imaginaire de Molière, Ndlr) sans cesse en train de se contredire…